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3. Quand l’amont et l’aval entrent au ca 3. Quand l’amont et l’aval entrent au capital

Pour soutenir l’activité agricole, la filière va jusqu’à investir dans les exploitations.

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Ouvrir son capital à des entreprises de l’amont ou de l’aval ne va pas de soi. Même lorsqu’elle est présentée comme un coup de pouce marginal et temporaire, l’intervention d’un acteur de la filière suscite la méfiance. Le lien d’aliénation avec un industriel est-il plus fort qu’avec une banque ?

« Pas sûr : on ne sort pas si facilement de la logique de dépendance à l’égard de la banque », doute le chercheur François Purseigle. « Tant que l’on rembourse l’emprunt à la banque, peu importe que ce soit avec du volume ou de la valeur ajoutée. Tandis qu’un associé au capital peut avoir son mot à dire sur les orientations stratégiques », objecte le porte-parole de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel. Et d’imaginer les dérives possibles avec des apporteurs de capitaux ayant des intérêts industriels : « Qu’une firme phyto prenne des parts dans une exploitation, cela me poserait problème. »

A la Coordination rurale, c’est avant tout l’aliénation des agriculteurs, sur le mode de l’intégration « cachée », que l’on redoute. « L’industriel veut assurer son volume en fidélisant ses fournisseurs par tous les moyens, plutôt qu’en les payant au bon prix », dénonce Bernard Lannes.

Peur de l’autre

« Il ne faut pas en permanence avoir peur de l’autre, même de l’aval », objecte Henri Biès-Péré, vice-président de la FNSEA, invoquant l’esprit des États généraux de l’alimentation, qui ont cherché à « rebâtir la confiance autour d’intérêts convergents ». Cela dit, le financement des outils de production par l’aval ne peut être qu’une « solution par défaut, estime-t-il. Les coopératives et les industriels ont mieux à faire avec leur argent : qu’ils investissent d’abord dans leurs propres outils et dans la recherche. » Les principaux intéressés ne disent pas mieux.

Des coopératives, des groupements de producteurs, des fournisseurs, des abattoirs ou encore des distributeurs ont pris, prendront ou envisagent de prendre part au capital d’exploitations agricoles, viticoles ou d’élevage. Mais ce n’est ni une vocation, ni une ambition, nous ont assuré tous les responsables interrogés.

« Nous ne cherchons pas à être présents dans les outils de production, notre métier n’est pas banquier, insiste Bernard Mahé, directeur général de Sanders et du domaine Nutrition animale du groupe Avril. Nous devons être bons dans notre métier : l’alimentation animale pour Sanders, les outils de transformation pour Avril. C’est pourquoi nous investissons 15 millions d’euros par an dans nos usines. » À côté, les apports en fonds propres à des élevages ne représentent que « quelques dossiers et un petit niveau d’investissement », assure-t-il.

C’est vrai. La SARL Kerloann, à travers laquelle intervient Sanders, aurait injecté au total 1,4 M€ dans une vingtaine d’élevages porcins depuis sa création, il y a dix ans. La société, qui intervient sous forme de prise de participation minoritaire au capital, est toujours présente dans 18 exploitations, totalisant 1,25 M€ engagés à ce jour, soit 70 000 € par dossier en moyenne. Sanders en détient un tiers aux côtés du groupement de producteurs Porc Armor, pour un autre tiers, et des abattoirs Abera (filiale du groupe Avril, dans lequel Porc Armor a aussi des parts) et Bernard.

Convaincre la banque

Créée au départ pour financer une maternité collective sur laquelle les banques n’avaient pas voulu s’engager, Kerloann finance désormais surtout des projets d’installation de jeune. « Mais sans se substituer aux banques, précise Dominique Amiaut, référent du dossier chez Porc Armor Evolution. Notre apport, qui représente en moyenne 5 % de l’investissement global fait par les éleveurs, doit permettre de mieux négocier le financement. L’objectif est de rendre le projet crédible aux yeux du banquier. Un billet de 50 000 € ne va pas changer grand-chose sur un projet de plus d’un million mais, en prenant le risque de perdre ce billet, on montre qu’on croit au projet. » L’entrée au capital se fait pour une durée maximum de sept ans, correspondant à la première baisse d’annuité (échéance du prêt de cheptel). Le remboursement peut aussi être anticipé ou retardé selon le souhait, et surtout la capacité de remboursement des éleveurs.

Ce type d’accompagnement financier n’est pas ou plus une spécificité de Kerloann. La coopérative Triskalia, entre autres, a créé sa société d’investissement SAS Porc Avenir. Elle devrait prochainement changer de nom car Triskalia souhaite l’étendre aux filières lait et volailles.

« Nous apportons une aide de 100 000 € maximum, essentiellement sous forme de compte courant associé (CCA), bloqué sept ans, explique Philippe Le Vanier. On apporte aussi 5 % de l’aide en capital social, juste pour pouvoir ouvrir un CCA. Au bout de sept ans, on entame un plan de sortie sur cinq ans. Au bout de douze ans, on est désengagé de l’élevage, voire avant si l’éleveur anticipe le remboursement. » Pour l’instant, ces durées restent théoriques puisque le dossier le plus ancien a quatre ans. Les projets accompagnés – surtout de l’installation, mais aussi une maternité collective – vont de 800 000 € à 2 M€. « Les banques demandent un apport personnel de 15 % : cela ne passerait pas sans appui financier du groupement », lâche-t-il. A ce jour, quatre dossiers ont vu leur financement bouclé et plusieurs seraient dans les tuyaux. Y compris en volaille et en lait.

Le lien de dépendance ? Il existe, bien sûr. Pour se fournir en aliment ou produits véto et pour livrer sa production, l’éleveur doit travailler avec les entreprises amont aval associées à son capital, qu’il s’agisse de Sanders, Porc Armor ou Triskalia pour ne citer qu’eux. D’où l’intérêt de « bien choisir ses partenaires, pour que cela fasse sens d’être associés, souligne Dominique Amiaut (Porc Armor évolution). Les règles doivent convenir dès le départ. Le jour où elles ne conviennent plus à l’éleveur, il rembourse et il est libre. »

Répartir l’effort financier

Sauf que ce n’est pas toujours simple. Même à l’échéance prévue de sept ans, « les éleveurs ne veulent pas forcément racheter les parts à la valeur qu’elles ont », admet Bernard Mahé (Sanders). Il faut alors « trouver des solutions », parfois « rester au capital ».

Même quand tout se passe bien, Porc Armor n’exclut pas de « rester durablement au capital d’une SCEA à 1 ou 2 %, si c’est la volonté des éleveurs ». Cela leur garantit l’implication du groupement qui, en tant qu’associé, « partage les mêmes risques et le même stress ». C’est le cas dans la maternité collective de Poiroux, où pour la première fois, Porc Armor s’est associé en direct, sans ses partenaires de Kerloann. Un cas qui se reproduira car les éleveurs sont parfois plus réticents à associer des industriels qu’un groupement de producteurs dont les intérêts semblent plus proches. Mais des dossiers continueront aussi à être financés via Kerloann. Parce que cela permet de répartir l’effort financier entre les parties prenantes. Et que les réunions qui se tiennent tous les deux mois pour faire le point sur les dossiers donnent lieu à « des échanges riches ». Toutefois « dans la plupart des cas, on n’apporte aucun financement mais seulement une aide technique et administrative, rappelle Dominique Amiaut. Cela ne doit surtout pas devenir une règle ! »

Plus en aval, la participation du groupe Les Mousquetaires dans des projets agricoles interroge. « Ce n’est pas notre stratégie », affirme Yves Audo, président d’Agromousquetaires. Le groupe n’est-il pas présent via sa filiale SVA Jean Rozé dans la Ferme de Saint-Martial, alias le centre d’engraissement dit « des mille taurillons » de la Creuse ? « Cela part d’une relation d’hommes avec les éleveurs du plateau, explique le responsable. Prendre une part du capital, c’est montrer qu’on est à leurs côtés. On aidera mais on n’a pas vocation à être actionnaires majoritaires. La participation au capital ne se fait pas en échange de conditions particulières. Par contre, on travaillera à écouler les jeunes bovins produits, via la contractualisation. » Car, de manière générale, c’est la contractualisation qui matérialise l’aide apportée aux éleveurs par le groupement, insiste-t-il. « A part quelques cas exceptionnels [de portage financier] s’il y a un besoin de trésorerie, mais pas sur du long terme. »

Offre par défaut

La où certains communiquent avec des pincettes, Yann Berson clame haut et fort qu’il est prêt à prendre des participations dans des élevages de porc bio. « Il y a une demande soutenue et une offre insuffisante en France, déplore ce grossiste en charcuterie et traiteur, à la tête de l’entreprise Dispéré Bio. Si je passe un coup de fil en Allemagne, j’ai le porc bio qu’il me faut. Il faut vraiment qu’on se bouge dans notre pays ! »

Cette inertie l’a conduit à faire une « offre par défaut ». En mai 2016, il annonce que son entreprise financera des installations en porc bio en apportant 10 à 20 % du capital. « Notre métier n’est pas investisseur. Mais il nous place près du client final, donc nous permet de bien percevoir son attente. L’idée était de lever les freins auprès des banques en montrant qu’un grossiste et transformateur croit à ces projets. Car les banquiers, en examinant un dossier, ne tiennent pas compte de la différence de rentabilité entre un porc bio et conventionnel. En revanche, ils voient la différence sur le montant d’investissement ! »

Dispéré Bio n’a finalement pas pris de participation dans des élevages. Son annonce, inattendue de la part d’une entreprise comme la sienne, aurait « fait réagir des groupements de producteurs, qui se sont saisis du problème », note Yann Berson. Il préfère donc laisser la place à des acteurs qu’il juge plus légitimes. En précisant qu’il maintient son offre, si besoin.

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